Edmond Pagès dit René BOUJU
Commissaire Technique FTP
Par son engagement, Edmond Pagès est titulaire de :
la médaille des Evadés n° 06867,
la médaille du Combattant n°614521,
la médaille des Combattants Volontaires de la Résistance n°118832
Extrait des mémoires écrites par Edmond Pagés transmises par sa fille Annette.
… Il n’était pas prudent pour moi de rester à Paris car mes 2 frères étaient recherchés par la police, militants communistes tous les deux. Je décidais donc de repasser en zone sud et de retourner à Espéraza dans l’Aude d’où j’étais parti pour la guerre.
Il fallait encore franchir ce qui était la démarcation très surveillée aussi par les Allemands. Verdeyme demanda à me suivre, ce que j’acceptais évidemment. J’avais appris par des amis qu’existaient des conditions de passage favorables à Montrichard près de Tours.
Nous avons pris le train jusqu’aux Aubrais, puis un car jusqu’à Montrichard, nous eûmes des propositions des « passeurs » mais pas toujours désintéressées et sûres.
Nous avons préféré passer seuls. Renseignés sur les particularités du terrain et des horaires de patrouilles allemandes, là aussi nous avons eu la chance de passer sans problème les difficultés de ce passage et nous nous sommes retrouvés en zone sud, nous partîmes pour Espéraza via Carcassonne. Là, je repris contact avec le « sponsor » pour lequel je courais, Gervais Villa, magnat de la chapellerie avant guerre et qui faisait maintenant de la collaboration économique. Ses usines avaient été reconverties et il travaillait pour l’organisation nazi Todt (manches d’outil, semelles de bois, galoches pour les prisonniers, etc.…) nous fûmes employés à divers travaux chez lui et nous logions à l’hôtel, un peu juste financièrement. Quelques temps après, Gervais Villa me proposa de reconstituer une équipe de cyclistes professionnels ; contactant des anciens équipiers, je pus faire venir six anciens coureurs de ma connaissance, Marcel Laurent, Georges Munier, Emile Gamard, Lucien Lauck, Auguste Mallet, Victor Cosson, tous de bonne valeur. Avec eux je repris moi-même l’entrainement puis les compétitions, je me comportais convenablement gagnant quelques courses et le championnat de la zone sud en 1942
Début 1943
Je commençais à avoir des contacts avec le Parti Communiste clandestin et la résistance, mes deux frères étaient l’un, Paul, dans la clandestinité à Paris, l’autre Pierre, en prison à Nice puis en camp de concentration à St Paul d’Eyjaux près de Limoges où j’avais pu lui rendre visite et le ravitailler, il fut ensuite expédié en résidence surveillée en Corse où était sa femme Renée et sa fille Annie, née en son absence.
La situation générale, celle de mes deux frères en particulier me poussa à m’engager dans un militantisme antifasciste, contre l’occupant. J’eus des contacts avec un vieux communiste d’Espéraza Léon Palisse (interné par la suite) par son intermédiaire, je suis entré dans les organisations qui commençaient à se structurer dans une région plutôt collaboratrice et où il fut levé beaucoup de miliciens pétainistes.
J’adhérais tout d’abord au front national, organisation très large où les communistes jouaient un rôle important, ensuite, furent constituées les milices patriotiques chargées de protéger la population contre les exactions de Vichy et des Nazis. Fin 43, j’adhérais au parti communiste clandestin puis à son organisation combattante les Francs Tireurs et Partisans Français, sous le pseudonyme de BOUJU, ce pseudonyme m’avait été donné durant ma jeunesse dans mon quartier de Puteaux, il pouvait mes faire connaître par ma famille et les amis en cas de coup dur.
Les effectifs étaient peu nombreux et les responsables pas très compétents politiquement. Personnellement, surtout par mes frères, je m’intéressais aux problèmes politiques depuis longtemps, et sans être militant, j’avais un certain bagage sur le travail du Parti et ses buts et sur les FTPF. J’étais malgré tout un peu limité face aux responsabilités à assumer, mais compte tenu de la faiblesse relative des cadres, je pris rapidement ma place dans les directions.
Début 44
Nous avons commencé l’organisation des maquis où se retrouvaient des camarades recherchés par Vichy ou par la gestapo, et des jeunes menacés du STO qui les envoyaient en Allemagne.
Personnellement, je bénéficiais toujours de l’étiquette de coureur cycliste et il fut décidé de mon maintien en ville, ce qu’on appelait les groupes « légaux », cela rendit bien des services pour les contacts avec la région. Les renseignements et l’organisation des coups de main et des actions de nos maquis ; ceux-ci s’étoffaient et étaient constitués en groupe d’une trentaine d’hommes ; ils étaient organisés en camp volant susceptible de se déplacer rapidement pour échapper aux attaques des Allemands et des miliciens Français.
Dans notre secteur Aude Ariège et Pyrénées Orientales, il y avait beaucoup de groupuscules et organisations clandestines, peu combattaient l’Allemand et s’occupaient surtout de renseignements pour le compte de Londres et d’Alger, il y avait aussi des guérilleros espagnols chassés par Franco et internés par les français. Il y avait aussi plusieurs maquis de différentes tendances politiques, le plus important était le maquis de l’Armée Secrète de tendance socialisante et démo-chrétienne. Toutes ces organisations avaient des contacts avec Londres et touchaient des parachutages mais il y avait discrimination envers les communistes et le FTPF. Rien pour nous, et notre armement était très hétéroclite.
La région est plutôt plate et couverte de vignes et tout ce monde était groupé sur les hauteurs à la limite des 3 départements Aude, Ariège, P. Orientales, ce n’était pas très favorable pour les actions, car il fallait descendre dans la plaine assez loin des bases de nos maquis. Nous étions les plus actifs pour les actions contre Vichy et les Allemands, et nous avons eu des pertes (15 camarades de début 44 à la libération) nous avions 3 maquis portant noms de camarades tués, Faîta, Jean Robert et Cathala, environ une centaine d’hommes et un nombre à peu près égal de militants résistants organisés en ville en groupe « légaux ».
Les FTPF fonctionnaient avec des triangles de direction aux différents échelons, groupes, maquis, départements, région. A chaque échelon, un commissaire aux opérations, un commissaire aux effectifs, un commissaire technique. Par décision, je fus maintenu en ville, et en Mars 1944 désigné comme commissaire technique départemental (armement, matériel roulant, ravitaillement des maquis) Les autres membres du triangle départemental étaient Louis Bahi (alias LECLAIR), CO, Pierre Lantenois (alias Julian), CE.
Les rapports n’étaient pas bons entre les différents organisations et maquis, les vues et buts n’étaient pas le mêmes et nous avons été parfois proches de conflits à cause des parachutages où nous cherchions à récupérer des armes qui ne nous étaient pas destinées.
Il y avait pourtant sur le plan national dans notre zone en particulier, des recherches d’unification des mouvements de résistance surtout depuis la venue en zone sud de Jean Moulin, envoyé de De Gaulle.
Dans notre secteur, c’est tardivement, le 6 seulement que fut prise la décision d’un rassemblement dans les FFI (Force Française de l’Intérieur) des formations FTPF et AS. Je suis resté en ville jusqu’au 19 juillet, jour de l’arrestation de Jean Bringer alias Myriel envoyé de Jean Moulin pour notre secteur. J’étais en relation constante avec lui justement sur ce problème d’unification dans les FFI, arrêté Myriel fut affreusement torturé et assassiné par les allemands lors de la libération de Carcassonne. Il ne parla pas car je n’eus pas vent de recherches me concernant, par prudence, il fut décidé de ma montée au maquis Jean Robert.
6 Août
Toujours dans le cadre de l’unification et pour un partage des parachutages, Victor Meyer, alias le Commandant Jean-Louis FTPF, responsable pour la fusion et moi-même nous sommes allés contacter les responsables départementaux et du maquis AS à leur maquis de Picaussel. Ce maquis groupait près de 400 hommes avec baraquements, stocks d’armes et de matériel. C’était contraire à nos conceptions de la guérilla et nous ne fûmes pas convaincus par les arguments des responsables du maquis AS dont pas mal étaient des officiers ou sous officiers d’active ou de réserve voyant les formes de guerre à leur façon, plans de feu, ligne de résistance etc.… le tout plus qu’aléatoire et non adapté comme la suite le confirma. Les allemands avaient beaucoup de difficultés à détruire les petits maquis volants comme les nôtres, mais il y eut de sanglants exemples en ce qui concernât les grosses concentrations comme ce fut au Vercors ou dans notre secteur à la montagne noire où ils écrasèrent cette forme de résistance.
Avec mon camarade FTPF Jean-Louis, nous étions montés au maquis de l’AS à Picaussel à bicyclette et nous avons entamé les négociations sur les formes d’unification de nos maquis réciproques et surtout, pour nous, une répartition des armements venant des parachutages dont nous étions exclus.
Sur les conceptions de combat des responsables AS, les évènements devaient bien vite nous donner raison et à notre détriment d’ailleurs. Alors même que nous étions en discussion avec la direction départementale de l’AS dans ce maquis de Picaussel, les allemands attaquèrent en force avec chars, engins blindés, artillerie et infanterie. Dès les premiers obus il y eu un début de panique parmi les maquisards AS peu préparés au combat, beaucoup visaient surtout à fuir le STO de Pétain, les Chefs du maquis durent menacer certains hommes pour éviter la débandade.
En contrebas du maquis les allemands brulèrent le village de l’Escale d’où ils bombardaient les sommets où nous nous trouvions. Devant la désorganisation du maquis AS, nous décidâmes avec Jean-Louis de nous replier dans les gorges de l’Ariège en compagnie d’un groupe de FTPF de ce département commandé par un nommé Calvetti, venu aussi au contact à Picaussel en quête d’armement. Notre retraite s’opéra sans dégât et une fois rendu dans la vallée, nous avons rejoint notre maquis toujours en vélo.
Suite à l’attaque allemande du maquis Picaussel, le terrain de parachutage qu’il contrôlait ne pouvait plus être utilisé et un commando de 15 américains fut parachuté le 11 août sur notre zone de maquis, impropre au largage humain, l’un des hommes grièvement blessé à ce difficile atterrissage. Ce n’était pas tout à fait ce que nous espérions, attendant plutôt des armes. Le commando était descendu avec « son » matériel de combat et de sabotage. Il ne nous était évidemment pas destiné, mais ces hommes préférèrent rester avec nous jusqu’à la libération.
15 et 16 août
Ce fut le débarquement américain et FFL sur la côte varoise et décision commune fut prise de la descente vers les villes des différents maquis de la haute vallée de l’Aude.
Premier objectif l’énorme dépôt de vivres de Couiza, réserve de la XIXème armée allemande. La garnison des territoriaux de la Wehrmacht se rendent rapidement et nos organisons la garde du dépôt pour en éviter le pillage (ces vivres furent par la suite réparties dans le département).
Nous poursuivions notre avancée vers Carcassonne mais le 17 août, un de nos détachements FTPF, renforcé du commando US a un accrochage avec des forces allemandes venues pour renforcer la garnison de Couiza.
Le combat a lieu dans les gorges de l’Aude, près d’Alet les Bains, les allemands ont des pertes importantes et y laissent plusieurs véhicules avant de se replier. Nous avons 3 camarades blessés et le Lt Paul SWANK, chef de commando US y trouve la mort. Selon sa volonté son corps repose en ce lieu où nous avons fait ériger une stèle en sa mémoire rappelant le combat et sa mémoire.
22 août
Les maquis FTPF et AS devenus FFI sous commandement commun occupent Limoux. Une colonne allemande, cherchant à passer en Espagne, est interceptée par nos hommes, après un bref combat et des pertes allemandes, ceux-ci se rendent. Nous faisons 54 prisonniers dont 2 officiers (je confisque à l’un deux son poignard d’apparat en contrepartie de ce qui me fut volé quand je fus moi-même prisonnier, j’ai toujours ce poignard à croix gammée).
Notre descente des montagnes et notre avancée sur Carcassonne était évidemment connue de la population, espérée et suivie avec impatience et parfois trop d’enthousiasme, manifestations et drapeaux aux fenêtres malgré nos mises en garde.
Avant que nous arrivions à Carcassonne, la ville était déjà en fête, malheureusement, une colonne de troupe SS en retraite vers le Rhône traversa la ville, mitraillant dans les rues, faisant beaucoup de victimes. Ce fut ensuite notre installation dans Carcassonne et l’organisation de notre occupation administrative en lieux et places des hommes de Pétain.
Fin août
Sur ordonnance de De gaulle, les FFI dont les FTPF faisaient maintenant partie, passèrent sous le commandement du Général Koening. Une note de celui-ci décréta que les cadres issus des maquis pendraient le grade correspondant aux hommes sous leurs ordres.
A ce sujet, il faut noter que, dans notre organisation FTPF, nous n’avions pas de galons comme dans l’armée mais des insignes des responsabilités de nos cadres (comme je l’ai déjà cité, triangles de direction à chaque échelon), personnellement, compte tenu des effectifs sous ma responsabilité, environ une compagnie, je fus nommé capitaine, portant sur l’épaule, les 3 galons classiques. Notre tenue l’était moins, car nos uniformes avaient été taillés dans le tissu bleu foncé récupéré à la milice. Nous perçûmes par la suite les tenues américaines fournies pas le débarquement. Les choses se compliquèrent quand il fallut s’organiser pour la poursuite des opérations pour chasser les allemands du territoire et prendre notre part aux combats qui continuaient le long du Rhône.
Les effectifs des maquis avant la descente vers les villes, correspondaient environ à 400 hommes, mais compte tenu des ralliés de la dernière heure, c’est 1200 hommes qui se mettaient à notre disposition. Ce ne fut pas facile d’organiser ces nouvelles recrues qui adhéraient dans l’enthousiasme mais n’avaient pas les buts et la discipline des maquisards. Il fallut faire un tri et ensuite encaserner les unités constituées (partie à Carcassonne, partie à Narbonne).
L’intendance en l’occurrence n’était pas une mince affaire, de même que la formation et la discipline de ces unités. Je ne développerai pas les regrettables règlements de compte et exactions commis durant une certaine période de la libération, les historiens reconnaissent que ces méfaits ne furent pas le fait des troupes organisées issues des maquis. Dans la période suivant la libération et la mise en place des institutions et de l’administration sous la direction de nouveaux fonctionnaires responsables des cours martiales furent constitués et amenés à juger les cas les plus flagrants de collaboration et de crimes contre l’humanité.
Je participais à deux de ces cours martiales, qui se déroulaient dans des conditions respectant les droits de la défense et jugeant sur des documents et preuves indiscutables. Le tribunal comprenait 5 officiers (1 commandant et 4 assesseurs) un procureur requerrait contre les accusés, un avocat défendait celui-ci, les peines prononcées étaient immédiatement exécutoires.
Dans un premier procès où j’étais assesseur, une condamnation à mort fut prononcée et 4 condamnations à emprisonnent.
Dans le 2 ème procès, j’avais fonction de président du tribunal, nous avions à juger une équipe liée à la gestapo qui avait fait de terribles ravages dans les rangs de la résistance, tant en ville, que dans l’attaque des maquis. Le principal accusé était Bach, interprète à la gestapo et responsable de bien des assassinats dans notre zone. Loin de nier ses responsabilités, il se glorifia de ses crimes menaçant le tribunal de représailles par le régime nazi. A l’audience, il fut produit des photographies de Bach en uniforme SS et maints témoignages de patriotes arrêtés et torturés par lui furent exposés.
La sentence le concernant fut la condamnation à mort et des peines d’emprisonnement pour ses complices. Bach fut fusillé le jour même. Les cours martiales jugées trop expéditives ne fonctionnèrent que peu de temps…