Jean Kohn
Témoignage de Jean Kohn,
extraits de son livret «A civilian in uniform 1943-1945»
Voir aussi
“l’histoire du pistolet de Jean”
Un jour d’août on nous a dit : «OK, boys, here we go» (OK, les gars, maintenant on y va).
Nous étions, comment dirai-je, dans un endroit secret du camp ou un autre lieu près de l’aérodrome. On nous a donné l’ordre de ne parler à personne, de rassembler notre matériel, toutes nos armes, poignards, carabines, mitraillettes, plastic, le travail quoi. Nous avions aussi cartes, 10 000 francs et 20 louis d’or. En plus on nous remit une lettre signée par le Général US Benjamin F. Caffey.
Nous partîmes une nuit de l’aérodrome de Blida dans un Bombardier Halifax. L’avion était composé par un équipage mixte, les pilotes étaient Anglais, le largueur était Australien et nous, nous étions des Américains. Mais pour ce voyage, cette nuit là, nous n’avons pas sauté. Nous fîmes demi tour… La zone de saut initiale était le Maquis de Picaussel, à l’ouest de Quillan, commandé par Lucien Maury. Le retour de nuit vers Blida fut éprouvant, tellement nous étions prêts à sauter.
Nous sommes repartis dans la nuit du 10 août et ensuite nous avons atterri sur un autre site : Le Clat, près d’Axat, pas trop loin de Quillan, dans le sud de Carcassonne. Nous nous sommes posés dans un endroit montagneux et très rocailleux. Je pense que mon copain Bill Strauss se cassa une ou deux côtes, le Sergent Sampson se blessa au coccyx. Plus tard quelqu’un nous dit en plaisantant que nous avions atterris dans un endroit anti parachutistes. Mais finalement tout rentra dans l’ordre. En fait ce site avait été choisi uniquement pour la réception de matériel et non pour des hommes.
Pour un peu les maquisards nous prirent pour des parachutistes allemands. Heureusement ils ne nous ont pas tirés dessus. Une fois posé j’ai embrassé le sol, j’ai alors pensé : je suis de retour…
… Nous avons atterri tôt le matin du 11 août 1944 au Clat. C’était encore nuit. Nous avons entendu quelques hommes parler français. Le contact eu lieu immédiatement. Nous avons ramassé notre matériel et tous les containers remplis avec tout notre équipement qui avait été largué en même temps que nous. Il y avait un camion et quelques voitures qui nous attendaient.
Nous avons chargé la totalité des containers d’armes et d’équipements et nous sommes partis sur la route en espérant que les allemands ne seraient pas en train de nous attendre à cause du bruit épouvantable qu’ont fait les avions dans la nuit. Nous nous sommes rendus à Salvezines par Axat, et ensuite nous sommes montés par une route vers la ferme Nicoleau.
Là nous avons étés accueillis par un groupe de jeunes gens, 200 environs, beaucoup de ces jeunes français avaient refusé d’être incorporés de force dans le service du travail obligatoire que le gouvernement de Vichy avait mis en place avec les allemands…
…Chaque membre du maquis avait un surnom. L’objectif de cela était d’assurer la sécurité des familles au cas où ils seraient pris. Un de ces hommes de son vrai nom Jean Millner s’était appelé ‘Caplan’. C’était un jeune homme juif venant de Paris. Il s’est débrouillé pour travailler dans le sud et a finalement rejoint le groupe. Je lui ai demandé pourquoi il avait choisi un surnom typiquement juif, alors qu’il aurait été plus simple de s’appeler Durand ou Dupont. Sa réponse, héroïque ou non, fut : ‘Si je suis pris, alors je veux mourir la tête haute comme un juif’. Jusqu’à ce jour je ne suis pas d’accord. Un héros mort est un mort.
Nous avons établis notre camp à la ferme Nicoleau, près de Salvezines.
Ensuite un jour, fatal jour, 17 août 1944, nous avons étés avertis qu’un groupe d’allemand venant de Carcassonne était en mouvement pour récupérer du ravitaillement dans un grand dépôt prés d’Alet, à Couiza…
Un autre groupe de maquisard a essayé d’immobiliser le convoi. Des renforts furent appelés de Carcassonne et ces pauvres jeunes français furent encerclés et impitoyablement tués par l’infanterie allemande. C’était le 17 août en matinée. Dans l’après midi, les allemands prirent quelques otages pour les mettre devant les camions et firent mouvement vers le nord en direction de Carcassonne. Nous étions supposés les arrêter.
J’étais toujours volontaire pour ce genre de choses. Lt Swank, Claude Galley, John Frickey, Rock Veilleux, et moi-même fîmes mouvement vers le nord vers Quillan avec des explosifs. Je ne sais pas quelles routes nous avons pris pour y aller. A priori nous avons dû passer en restant inaperçu par Couiza et Espéraza.
Nous étions guidés par nos maquisards FTP. Nous devions faire sauter la route au nord d’Alet à l’endroit où la rivière Aude coule dans une gorge étroite. Les gros blocs de rochers tombant de la falaise sur la route devraient arrêter le convoi allemand qui devrait s’arrêter
pour dégager les cailloux. A ce moment là nous pourrions leur tirer dessus.
A ce moment là une ambulance de la Croix Rouge arriva venant du sud. Le chauffeur a vu ce que nous faisions et a averti les allemands. L’escorte du convoi ennemi monta à l’assaut face à nous plus rapidement que prévu et nous prit avant que l’on soit totalement prêt.
En plus, Lt Swank et Galley ont eu des problèmes avec les explosifs, qui n’ont pas fait les dégâts attendus. Ils n’eurent pas le temps de positionner d’autres explosifs. La route n’était pas bloquée, et un groupe de robustes soldats allemands montèrent à l’assaut sur la route tirant avec tout ce qu’ils avaient.
A ce moment Lt Swank a été touché et tué. Je ne sais pas exactement comment il fut touché. Claude Galley fut touché gravement à la main. Il se débrouilla pour s’échapper. Et pour ma part, j’étais seul sur le talus surplombant la route étant convenu que je devais la couvrir. Deux allemands montèrent le talus en face de moi. Ils voulaient me descendre. Un des deux dit clairement en allemand :
« Recht fünf meters » (à droite cinq mètres).
Ils parlaient de moi.
Ils lancèrent une grenade à main de la grosseur d’une patate qui atterrit vraiment très près de moi et quand elle explosa, mon calot de laine vola. J’ai été touché à la cuisse droite (à ce moment je n’ai pas réalisé que j’étais légèrement blessé).
Alors j’ai eu trois choix :
Je me rends : Non
Je combat : Non, ils étaient deux avec des mitraillettes et j’étais seul.
Je vole : Oui
Je me suis rappelé nos ordres : ne pas combattre s’ils sont plus nombreux que nous. Alors j’ai volé.
J’ignorais que j’étais blessé, même légèrement. J’ai monté la montagne. J’ai entendu quelques coups de feu dans la nuit. J’ai dormi dans la montagne. J’étais terrorisé, craignant d’être tué, d’être fait prisonnier ou je ne sais quoi encore…. La nuit est tombée. J’étais tellement fatigué par tout ça que je me suis arrêté dans un endroit touffu en haut de la montagne, en grignotant un petit bout de menthe de la ration de survie et je me suis endormi rapidement. Tôt dans la matinée je me suis réveillé, je me sentis bien parce que j’étais toujours vivant. J’ai pensé que le meilleur chemin serait de passer sur l’autre versant de la montagne et voir ensuite ce que je pourrai faire pour rentrer à Quillan… J’ai finalement aperçu une ferme ou ce que je pensais être un corps de ferme. Je l’ai surveillé pendant un long moment pour être sûr qu’il n’y avait pas d’allemands.
J’ai couru un petit peu, approchant avec précautions, m’arrêtant de temps en temps, toujours en surveillant. J’ai ensuite foncé dedans et j’ai dit rapidement :
« Pas d’allemands aux alentours ? »
« Non »
Alors j’ai dit : « S’il vous plaît, donnez moi quelque chose à boire. »
Ils m’ont donné un peu d’eau et certainement quelque chose à manger… En arrivant à Quillan, j’ai appris que le Lt Swank était mort, il avait été tué. Je fus choqué…
Je me rappelle nettement le Lt Weeks agenouillé devant le cercueil ouvert et tenant la main froide du Lt Swank…