Victoire et Laurent RIBERO

Victoire et Laurent RibéroLaurent RIBERO est réserviste en 1940, il est rappelé et combat sur le front de l’Est dans la région de la Meuse. Il est fait prisonnier le 21 juin 1940 et part en captivité au frontstalag 121 dans la région d’Epinal. Après 9 mois de captivité c’est l’évasion. Le 24 mars 1941, il saute par la fenêtre de la ferme où il travaillait et commence son périple vers Bugarach. Son évasion n’était pas improvisée et il utilisa des contacts pour passer en zone libre.

Après avoir été démobilisé il retrouve un poste d’instituteur à Gincla et sa femme à Salvezines.

C’est à partir de cette époque (octobre 1942) qu’ils vont s’engager dans la résistance. Laurent Ribéro et sa femme vont s’occuper de l’organisation de l’A.S. (armée secrète, proche de De Gaulle) de la région. Extrait des mémoires posthumes de Laurent Ribero :

«…Au cours de l’automne 1943, un groupe de maquisards vint s’installer dans le bois de Faussivre à une heure trente de marche de Salvezines. C’était le détachement précurseur du futur maquis Jean Robert dont le gros était encore aux environs du Bousquet. Leur chef était Michel Gomez. Leur ravitaillement n’était pas facile. Mon nom leur fut sans doute communiqué par Jean Paul Jalibert, militant communiste, ancien interné, et qui était au courant de mon activité. Bref les maquisards venaient régulièrement, de nuit, au cours de l’hiver 1943-44, se ravitailler en vivres chez moi à Salvezines où ma belle-mère ramenait des vivres de l’épicerie Canaby-Marion, de Couiza, dont la discrétion nous était assurée depuis le temps où nous étions à Bugarach. C’était le plus souvent Ferrandez, alias Marta qui descendait au ravitaillement. Il s’est tué, plus tard, accidentellement.

Parachutage au Caunil

Terrain de parachutage du Caunil

…à la demande d’Auriol, (chef du secteur de l’Agly Pyrénées Orientales) je lui envoyai, par Jeanne Bénet, institutrice et collègue de Mme Auriol au village de Maury (66) une carte d’état major renseignée où j’avais cerclé l’emplacement possible d’un terrain. Ce terrain fut d’ailleurs homologué et fut baptisé ‘‘Ouvrage’’, la lettre d’identification U, message personnel ‘‘L’orvet est lisse’’. Le 8 juillet 1944, je fus nommé chef de terrain, ma femme fut mon adjoint, et le groupe AS fut versé au SOAM (service des opérations aériennes et maritimes également SAP) du département des Pyrénées Orientales. Le premier message fut diffusé le 6 août 1944 et cinq parachutages eurent lieu sur le terrain ‘‘Ouvrage’’, le cinquième et dernier, le 1er septembre 1944, au profit de la Résistance des Pyrénées Orientales. Tous furent réussis.

Depuis longtemps nous étions devenus ma femme et moi très vulnérables, car nous ne pouvions cacher notre activité et nous continuions à assurer la classe dans nos postes respectifs. Fréquemment, les camions de la Feldgendarmerie chargés de troupes circulaient dans la vallée. Prost, le milicien de Caudiès de Fenouillèdes, travaillait à localiser les îlots de résistance et l’infirmerie où étaient soignés les maquisards blessés dans l’accident de Camperrié. Une partie de la population avait peur des représailles et certains, même, carrément hostiles, ne cachaient pas leur intention de parler si les Allemands venaient. Il fallut que les gars du maquis prennent quelques mesures d’intimidation pour neutraliser les menaces de délation.

Ecole de Salvezines

Ecole de Salvezines

…Un jour un maquisard nommé Lévy, qui faisait la liaison avec Jean Villeroux à Rivesaltes, m’apporta un message de Mme Villeroux me demandant d’aller récupérer son mari à Cases de Pène (66) où il s’était réfugié après une descente de la Gestapo à son domicile. Il avait remonté le cours de l’Agly jusqu’à ce village. Ce fut là qu’en compagnie de Raymond Lozach, alias Lazare, d’André Abattut, alias Danton, et d’un autre maquisard surnommé Moïse (Jean Battle), j’allai le prendre pour l’emmener à Salvezines dans la légendaire Traction avant, après avoir crevé quatre fois. Il y resta jusqu’à la libération, partageant notre vie aventureuse, venant avec nous coucher dans la nature lorsque Marcel Lajou de Quillan, nous faisait donner l’alerte. Je ne voudrais pas arrêter ce récit sans rendre hommage au personnel médical de Quillan et d’Axat. Au cours d’une opération du maquis de Salvezines, le camion que Verdier, de Gincla, avait mis à sa disposition, par suite d’une fausse manoeuvre, se renversa au col du Campérié. Une douzaine de gars avaient été blessés dont Combres, de Fabrezan, qui devait en mourir. Ils reçurent les premiers soins à Salvezines où les chirurgiens Deixonne et Patounas, de la clinique de Quillan, ainsi que le docteur Beille d’Axat, n’hésitèrent pas à venir les soigner. En terminant, je voudrais résumer en disant que l’école de Salvezines fut le centre de gravité et le point de rencontre de toute la Résistance de la Haute Vallée de la Boulzane entre diverses organisations: Armée secrète, les FTP, les guérilleros Espagnols, la section des atterrissages et des parachutages des Pyrénées Orientales. Mais bien que les largages dans ce secteur aient été destinés à ce département, une entente entre Michel Gomez et moi permis aux gars du maquis jean Robert d’en recevoir une partie. Nous travaillions tous pour la même cause et il n’y eut pas chez nous de ces barrières théoriques qui purent exister ailleurs entre les divers mouvements de Résistance.»

En ce qui concerne le maquis Jean Robert et Faïta, les époux Ribéro ont permis à plusieurs hommes de rejoindre la résistance en toute sécurité. Parmi eux ont peut citer André Abattut dit Danton et Jean Milner dit Caplan.

Jean MilnerCaplan témoigne en 2002

«J’ai découvert Salvezines tardivement, après les avatars du maquis Faïta dans les Corbières, décimé par la milice et les allemands. En rejoignant à Salvezines le maquis Jean Robert (qui comptait alors peut-être 100 ou 120 maquisards), ses chefs, Victor Meyer dit ‘‘Jean-Louis’’ et Adolphe Gomez dit ‘‘Michel’’, m’ont parlé les premiers d’un couple d’instituteurs qui avait aidé le maquis et hébergé occasionnellement des réfugiés. C’est au retour d’une mission de reconnaissance, et nous en faisions beaucoup, que j’ai fait la connaissance des Ribéro.

Je me suis trouvé en présence d’un couple qui avait la folie de courir des dangers. En effet si les nazis ou les miliciens avaient investi Salvezines, ils auraient été les premières victimes de dénonciations de certains de leurs compatriotes ou d’agents de la gestapo. je revenais donc de mission sous alimenté et très fatigué, ils m’ont proposé de dormir chez eux pendant un jour ou deux, parce qu’il y en avait d’autres à la suite qui devaient être hébergés ou cachés.

C’est alors que j’ai découvert l’habitat que la République offrait à ses ‘‘hussards noirs’’. C’était plutôt meublé de livres que d’autres choses. J’ai logé chez les Ribéro deux nuits dans un local, pas misérable mais plus que modeste et j’étais entouré de livres. J’avais déjà connu pareille situation chez les Rossignol à Limoux.

Avec les Ribero les relations étaient très écourtées par nos missions de maquisards, car nous ne devions pas nous attarder longtemps dans un même lieu. J’étais tout à fait conscient qu’ils couraient un risque que moi je ne courais pas parce que j’étais un soldat, j’étais armé, plutôt mal que bien, tandis qu’eux étaient des civils, avec des enfants à charge. Les dénonciations étaient courantes à cette époque.

On ne savait pas qui était dans ce milieu rural majoritairement pétainiste et devenant résistant quand la résistance l’emportait.

Les Ribéro couraient plus que nous maquisards le danger d’être pris et exécutés. Durant ces deux jours il y eut avec eux de longues conversations. En effet parmi les garçons du maquis, j’étais peut-être un de ceux qui avait le plus lu, et était attiré par la lecture. J’avais aussi de petites notions politiques qui m’ont permis de discuter avec les Ribero. Je dis les Ribéro parce qu’ils formaient un couple comme les Aubrac…

Ils étaient indissociables, on ne pouvait pas séparer l’un de l’autre. Je me souviens plus de leur visage que du son de leur voix. Il y a prés de 60 ans de ça. Fin 43 à mon arrivée à Salvezines, j’avais 20 ans, j’étais réfugié de Paris où j’avais porté l’étoile jaune. Depuis que j’avais mis les pieds en zone libre je ne la portais évidemment plus. Etant juif, j’étais encore plus vulnérable que les autres gars du maquis, j’étais circoncis, j’étais non déclaré ou déclaré faussement. Je m’étais fait appeler Caplan qui est un nom typiquement juif et j’étais persuadé que je ne survivrais pas à la libération. Les Ribéro étaient au courant de tout ça, je leur avais tout raconté.

Avec les Ribéro le domaine privilégié c’était les livres. A cette époque j’étais branché sur les auteurs Russes: Dostoïevski, Tolstoï, Pouchkine, et le théâtre de Tchékhov, et chez eux il y avait suffisamment de livres pour satisfaire ma courte curiosité puisque je n’y suis resté que 2 nuits et 2 soirées. Quant à la nourriture elle était modeste, eux aussi n’étaient pas riches et ils ne pouvaient pas acheter au marché noir, mais chaque fois que j’en ai eu besoin, ils m’ont donné ce qu’ils pouvaient.

Ce sont des choses qui ne s’oublient pas et plus de 50 ans après j’ai toujours en mémoire la gentillesse, la générosité, le dévouement des Ribéro à mon égard et je devais, pour leur descendance, rappeler ces souvenirs succincts. Je les ai aimés quand, après la libération, je me suis rendu compte de tout ce qu’ils avaient encouru pour nous aider, pas seulement moi mais aussi mes camarades, parce qu’il y en a eu d’autres avant et après moi.»